The Lost Art of Making a Mixtape

«A good compilation tape, like breaking up, is hard to do and takes ages longer than it might seem. You’ve got to kick off with a killer, to grab the attention. Then you’ve got to take it up a notch, or cool it off a notch…oh, there are a lot of rules.»

― Nick Hornby, High Fidelity

Dans la longue liste madeleine de proustienne des trucs que les jeunes d’aujourd’hui ne connaitront jamais, je voudrais la mixtape… Cette compilation de chansons choisies avec amour, dans l’espoir, rarement récompensé, avouons-le, d’attirer l’attention d’un membre du sexe opposé (ou identique).

Une cassette vierge

Combien d’heures passées à chercher dans une pile de disques les parfaites perles pop, celles qui s’écoutent comme un Sunday se mange, dont les paroles, murmurées par un songwriter à tendance suicidaire, sauront transmettre à l’oreille attentive le message qu’une infranchissable timidité empêche le compilateur trop sensible de prononcer. Le tout avec un peu de subtilité, ce qui explique le peu de succès de «I Want Your Sex» de George Michael dans cet exercice.

Combien d’heures passées à se demander s’il vaut mieux mettre «Seeing Other People» de Belle and Sebastian avant ou après «The Flowers of Guatemala» de R.E.M. ?

Combien d’heures passées au téléphone, celui avec un cadran et un fil qui se tortille, à appeler, en tournant les feuilles du répertoire (celui avec le bord des pages découpé comme un virage en épingle à cheveux, pour que l’on puisse facilement retrouver les lettres de l’alphabet) à appeler tous les copains pour en trouver un qui aurait le 45 tours de «Hotel California» ou «Don’t Cry». Pas le genre de chanson sur lequel on pose les bases d’une relation solide, sauf à la voir marquée du sceau infamant du mauvais goût et du rock FM. Mais ça, à l’époque, personne ne nous l’avait dit.

Ce parcours du combattant achevé, il fallait ensuite copier une à une les chansons, succession répétitive de RECORD – PLAY – PAUSE – STOP – EJECT… Les plus extrémistes, une fois la face A enregistrée, démontaient la cassette pour couper la longueur de bande inutile et s’assurer qu’il n’y aurait pas 10 minutes de blanc à passer en avance rapide avant de démarrer la lecture de la face B. Une délicate attention malheureusement condamnée à passer inaperçue.

Avouons-le, même moi je n’ai pas vraiment connu cette époque. Quand je me suis lancé dans les compilations maison, la cassette était déjà bien morte et les graveurs de CD se démocratisaient. La partie manuelle du travail se résumait à quelques «glisser / déposer» du dossier mp3 vers la fenêtre du logiciel de gravure, Nero Burning ROM (Néron. Brûler. Rome. Il y a un jeu de mot). En échange de la perte d’une certaine dimension poétique de ce travail d’orfèvre, l’esthète qui sommeille en chaque amoureux (ou presque…) disposait de 144cm2 de liberté pour tenter de créer une pochette à la hauteur de son contenu.

Des pochettes artisanales de CD

Ouais, je fais mon vieux con, sur l’air de c’était mieux avant. Et tu te dis que j’ai l’air bien trop jeune pour ça. C’est gentil mais la photo en bas de l’article date un peu. OK, tu es allé regarder la photo. Et tu es revenu, c’est déjà ça. Je fais mon vieux con, donc, disais-tu… (En fait, je sais que c’est moi qui le disais, ne vas pas poser trop vite de diagnostic sur mon état mental.) Sauf que, crois-moi, C’ÉTAIT MIEUX AVANT. Pas pour tout, hein. Mais pour ça.

Fini le romantisme, le cloud a tout emporté. Plus besoin, aujourd’hui de chercher parmi des CD éparpillés en piles de hauteurs variables à l’équilibre précaire ou bien consciencieusement classés (par ordre alphabétique puis chronologique). Plus besoin d’acheter des CD-R (qui achète encore des CD «gravables» ?). Plus besoin de feuilleter de vieux numéros des Inrocks pour trouver la photo qui, découpée, servira de base à la pochette parfaite.

Aujourd’hui, tous les morceaux du monde sont disponibles sur Spotify. Non que je m’en plaigne : c’est pratique, Spotify, pour trouver ce morceau qu’on a envie d’écouter, là, maintenant, et qu’on n’a pas acheté. Et que de toute façon on n’achètera jamais, l’album est nul, tu l’as lu sur un blog. Ou alors pour écouter de la musique, au boulot, sans amener une dizaine de CD tous les matins.

Avec Spotify, en plus, on peut faire des playlists. Et on peut les partager. C’est plutôt pratique, en soi. On peut récupérer la playlist XFM top 1000 of all time et écouter 882 morceaux pop/rock pendant 2 jours. Mais franchement, tu te vois coller ton lien Spotify dans Facebook comme un vulgaire poke ? Et tu imagines vraiment que la fille, là (ou le mec, hein, n’essaie pas de ruiner mon raisonnement), va se dire «Oh, quelle délicate attention, il a probablement passé tout son dimanche à faire ça rien que pour moi !» ? Alors que, si ça se trouve, tu l’as balancé à 79 meufs identifiées comme potentiellement célibataires, parce que là on est samedi et qu’il 19 heures. [Note pour plus tard : trouver un jeu de mot avec célibatard, essayer de le revendre à un humoriste connu] [Bof, Booba l’a probablement déjà fait] Tu le vois, dans ta playlist, le romantisme ? La délicatesse de l’orfèvre ?

Spotify, c’est Henry Ford, la production de masse et la distribution à grande échelle. Imaginez : on peut créer une playlist (une sorte de mixtape de bas étage, donc) et la partager, ni vu ni connu avec tout un tas d’inconnus (ou de connus, d’ailleurs), sans effort supplémentaire. Comme ça. Voilà, c’est fait. Avec le streaming, l’art délicat et romantique de la compilation passe de l’artisanat à l’industrialisation. Et perd en chemin sa grâce et sa noblesse.

«I spent hours putting that cassette together. To me, making a tape is like writing a letter – there’s a lot of erasing and rethinking and starting again, and I wanted it to be a good one…»

― Nick Hornby, High Fidelity

Leave a Reply

Your email address will not be published. Required fields are marked *